Une alliance de renseignement de 5 pays dont l’Allemagne et la France

Des révélations de la presse allemande éclairent Maximator, une alliance de cinq pays européens, dont l’Allemagne et la France, dans le domaine du renseignement technique, active depuis 1976.

Une feuille griffonnée d’une écriture en pattes de mouche, quatre colonnes que l’on devine rapidement tracées au stylo-bille bleu, et un titre : « Coopération technique BND/Wicke », soit pour les non-spécialistes « Coopération technique entre le service du renseignement allemand extérieur BND [Bundesnachrichtendienst] et la France [codée Wicke] », en l’occurrence la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Avec cette note manuscrite de 1986, révélée début juillet par le quotidien allemand Frankfurter Rundschau, un secret vieux de quarante-cinq ans prend définitivement la lumière. Celui d’une alliance, née dans les années 1970, scellée entre l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la France. Son but : intercepter des communications diplomatiques et militaires étrangères, récolter des données électroniques, et partager du savoir-faire en matière de cryptographie. Son nom, Maximator, est celui d’une bière bavaroise à forte teneur en alcool.
L’existence de Maximator a d’abord été mentionnée début 2020 par plusieurs médias allemands et américains qui ont révélé l’opération « Rubicon », un épisode de la guerre des Malouines en 1982. Grâce au BND allemand et au TIVC néerlandais (devenu SVIC en 1996), qui ont cassé les codes des communications militaires de l’Argentine, Londres a pu repérer la position exacte des navires adverses et couler le croiseur General Belgrano avec ses 323 marins. Le service britannique GCHQ (Government Communications Headquarters) avait négligé l’Amérique du Sud et, incapable de lire les communications sécurisées de la région, s’était résolu à demander l’aide des Européens. L’opération « Rubicon » a changé le cours de la guerre.
Mais la genèse et le fonctionnement de Maximator n’ont été décrits pour la première fois qu’en avril, par un chercheur néerlandais, Bart Jacobs, grâce à des sources du renseignement des Pays-Bas. L’alliance est « née en 1976 à l’initiative du Danemark », avec la Suède et l’Allemagne, a-t-il écrit dans la revue Intelligence and National Security. « Une des motivations pour élargir la coopération fut alors l’émergence des signaux électroniques satellitaires, qui réclamaient des investissements substantiels. Une autre fut de travailler ensemble sur les défis posés par les interceptions techniques et d’échanger des méthodes. »
Exploiter les faiblesses adverses
La France l’a rejointe en 1985 à l’invitation de l’Allemagne, ce qu’ont confirmé les sources du Monde. La DGSE en a pris la direction en 2008, prenant le relais du BND. Maximator est toujours en place.
Bart Jacobs précise que la priorité des cinq membres de l’alliance était « de coordonner les moyens et les efforts d’interception et d’échanger des messages codés interceptés ». Les communications diplomatiques étrangères par radio et satellite étaient particulièrement visées. En revanche, l’analyse cryptographique « était seulement discutée de façon bilatérale ». La coopération dans ce domaine « consistait en des échanges d’algorithmes utilisés dans divers équipements cryptographiques des pays cibles qui avaient été volontairement affaiblis ». A chacun des membres ensuite de trouver le moyen d’exploiter les faiblesses adverses.
Cette alliance, explique-t-il encore, est souvent confondue avec une autre coalition de services connue sous le nom de « Club des cinq », impliquant les mêmes pays sauf la Suède, remplacée par la Belgique, et plus spécifiquement consacrée aux métadonnées militaires.
La note manuscrite du responsable du BND a été décortiquée le 22 juillet par le blog Electrospaces.net, qui la qualifie de « plutôt spectaculaire ». Les quatre colonnes recensent ainsi les points de la coopération : « Mil » (communications militaires radio, satellitaires, micro-ondes), « Pol » (communications politiques), « Elint » (renseignement électronique, qui vise les radars et divers signaux électromagnétiques), et « Krypto » (cryptographie). Dans la colonne « Elint », le chef espion note que la France est « faible » dans le domaine (« Wicke schwach ») – les énormes investissements consentis à la direction technique de la DGSE depuis ont rattrapé ce retard.

https://www.lemonde.fr/international/ar … _3210.html