FICHIER TAJ : LA CNIL ÉPINGLE L’INTÉRIEUR ET LA JUSTICE

Fichier TAJ : la CNIL épingle l’Intérieur et la Justice

Déjà dénoncés pour leurs trop nombreuses erreurs, un nouveau cafouillage vient pourrir les fichiers de police. Cette fois, c’est le fameux fichier TAJ, ou Traitement des Antécédents Judiciaires, qui est en cause. La CNIL considère spécialement que les ministères de l’Intérieur et de la Justice sont beaucoup trop lents pour respecter les délais encadrant le droit d’accès et de rectification des justiciables. Explications.

En 2012, le TAJ a fusionné les actuels fichiers STIC et JUDEX pour concentrer dans sa mémoire l’ensemble des informations relatives aux personnes soupçonnées de crime, délit ou contravention grave, mais également celles de leurs victimes. Des données stockées pour une durée de 5 à 40 ans suivant les cas, avec des informations parfois très sensibles.

Dans un précédent avis sur ce système, la CNIL rappelait qu’en fonction des infractions considérées (voir notre actualité), il est possible d’y trouver, outre évidemment le nom, le surnom, l’adresse, le sexe, la photo, la date ou encore lieu de naissance de l’intéressé, des informations « laissant apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ».

TAJ d'huile
Selon le dernier rapport du Conseil d’État, ce mécanisme compte 12,2 millions de fichiers concernant les « mis en causes ». L’intérêt d’un tel méga fichier ? Faciliter la recherche des auteurs d’une infraction en permettant aux autorités de scruter ses précédentes mises en cause. Depuis la loi sur la sécurité intérieure du 17 mars 2003, le TAJ peut tout autant être exploité pour l’accès à la nationalité française, les titres de séjour, mais encore les enquêtes administratives notamment en vue d’un emploi public dans une activité à risque (défense, etc.).
On comprend du coup l’importance de données fiables ou, inversement, les conséquences de données erronées dans la vie d’une personne, privée par exemple de postuler à tel emploi public. Des cas malheureusement loin d’être rares, comme le relevait un rapport parlementaire qui dénonçait un taux d’erreur trop important dans le STIC.
Les citoyens ne sont heureusement pas dépourvus d’action, seulement ils ne possèdent ici qu’un droit d’accès (et de rectification) indirect. Cela tient à la sensibilité de ces fichiers qui intéressent la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique.

Sur le papier, des délais bien encadrés
Comment se passe concrètement ce droit d’accès ? Sur le papier, la personne qui veut s’assurer que sa fiche est conforme à la réalité doit d’abord adresser sa demande via la CNIL. Idéalement, tout doit être traité dans les 6 mois.
La CNIL va d’abord désigner l’un de ses membres (uniquement un ancien magistrat) pour mener à bien les investigations et procéder aux éventuelles modifications. Contacté, le responsable du traitement (police ou gendarmerie) dispose ensuite d’un mois et demi pour saisir le ou les procureurs concernés, délai majoré d’un mois en cas d’affaire complexe. Chaque parquet doit alors se prononcer dans les trois mois et leur réponse est transmise au responsable du traitement. Celui-ci en informe alors la CNIL dans un délai de 15 jours.
Le magistrat de la CNIL en charge du droit d’accès indirect procède enfin aux vérifications et fait procéder aux éventuelles rectifications. Sauf opposition du parquet, de la gendarmerie ou de la police, la personne concernée est informée.

En pratique, des délais très peu respectés
Problème : « Les services de la police nationale et les Parquets ne respectent pas les délais » dénonce la CNIL dans une délibération publiée avant hier. Elle constate que le plafond des 6 mois est tout bonnement explosé. Quelques exemples ? 20 % des demandes d’accès reçues en 2012 par la CNIL sont toujours en cours d’instruction. Le chiffre monte à 60 % pour celles de 2013 et même 80% en 2014. Quand, une réponse a finalement été apportée, le délai moyen est de… 16 mois.
D’où viennent ces bugs ? Majoritairement d’« un défaut de saisine des Parquets par les services de police nationale », qui oublient donc le délai d’un mois et demi. Ces mêmes services trainent aussi des pieds pour centraliser les procédures à l’origine de l’enregistrement, « ce qui a pour effet d’allonger de manière importante les délais de traitement » regrette la CNIL. Parfois encore, ce sont les parquets qui sont épris de lenteur excessive, oubliant de respecter le délai de trois mois, voire de répondre.

Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira mis en demeure
La Commission estime du coup qu’« en ne respectant pas les délais qui leur sont ainsi impartis, les services de la Police nationale et les Parquets privent les personnes concernées d’un droit d’accès indirect efficace aux données les concernant enregistrées dans le TAJ. »
Celle-ci vient de mettre en demeure le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice de corriger le tir dans les trois mois. À défaut ? Joueront ici les possibles sanctions prévues à l’article 45 de la loi de 78. Soit un avertissement-sanction qui, s’il reste encore sans effet, pourra se muer en une information du Premier ministre pour qu’il prenne, « le cas échéant, les mesures permettant de faire cesser la violation constatée. »

Sources: NEXTIMPACT